CHAPITRE
VII
STALLES
II
DESCRIPTION.
Stalles sud
L'histoire
de l'Ancien testament se déroule, avons-nous dit, sur toutes
les miséricordes, contre les parois des deux maîtresses
stalles et enfin à la partie supérieure des rampes
qui arrêtent les stalles basses à l'endroit des passages.
Il est
bon d'observer, avant de commencer la description, que, soit par
suite d'une erreur dans le placement primitif des miséricordes,
soit par un remaniement fait on ne sait quand, peut-être lors
de la suppression de plusieurs stalles au XVIII° siècle,
quelques miséricordes se sont trouvées interverties.
Celle qui devrait occuper le n° 43 se trouve au n° 110 ;
celle qui est au n° 43 doit provenir d'une des stalles enlevées
au XVIII° siècle. Cette particularité laisse supposer
que ce serait bien à ce moment que le changement aurait eu
lieu (2).
Le point
de départ pour tous les sujets est la stalle maîtresse
à droite en entrant dans le chœur (n° 1) : de là,
on suit toutes les miséricordes des stalles hautes du côté
sud, en allant de l'entrée du chœur au sanctuaire puis
les miséricordes des stalles basses avec les passages du
même côté, mais en sens inverse, c'est-à-dire
en allant du sanctuaire à l'entrée du chœur;
on passe ensuite à la stalle maîtresse à gauche
en entrant dans le chœur et aux stalles hautes du côté
nord et enfin aux stalles basses et aux passages du même côté,
de la même manière qu'il a été dit pour
le côté sud, en finissant par la dernière stalle
basse à gauche en entrant dans le chœur, et qui porte
le n° 110 de notre plan.
MAITRESSE
STALLE I. - Les huit premiers chapitres de la Genèse
se déroulent sur différentes parties de la stalle
maîtresse à droite en entrant.
Jouée
extérieure A. — Elle peut se diviser en deux parties
principales : la partie basse, depuis le sol jusqu'à la hauteur
de l'accoudoir de la stalle, soubassement entièrement plein
et contenant un sujet sculpté en bas-relief,
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Notes |
(1) Ajoutons pour être complet
que de petites sellettes pour les enfants de chœur étaient
fixées jadis le long du plancher en avant des stalles basses.
Elles n'étaient sans doute pas contemporaines des stalles,
et avaient dû être placées après coup. L'une
d'elles portait gravé au couteau, le nom du compositeur Lesueur
qui fut enfant de chœur de la cathédrale d'Amiens. Elles
ont été supprimées il y a une cinquantaine d'années.
(2) Il y en avait davantage du temps de MM. Jourdain et Duval, mais
depuis elles ont été remises en place. Les autres n'ont
pu l'être : celle qui est au n° 43 parce qu'elle provient
d'une stalle qui n'existe plus et l'autre parce qu'ayant été
ajustée à sa nouvelle place, elle n'entrait plus exactement
dans l'ancienne. |
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mais qui appartient à une autre série que
nous décrirons plus loin, et la partie haute montant jusqu'à
la base de la flèche qui lui sert de couronnement. Celle-ci
est entièrement sculptée à jour et garnie de
sujets à personnages visibles pour la plupart aussi bien de
l'intérieur que de l'extérieur. C'est là que
commence l'histoire de la Genèse (Pl. LIX, en Y).
A la partie
inférieure, sur quatre petites niches a, b, c, d que
l'on aperçoit du dehors, les trois premières, a,
b, c, ont perdu les sujets qu'elles renfermaient. Celui qui remplit
la quatrième, d, représente des flots à
travers lesquels nagent des poissons. Il est visible à la fois
de l'extérieur et de l'intérieur, de même que
celui qui lui faisait pendant, en a. Les deux autres au contraire,
b et c, n'avaient face que sur l'extérieur;
ils étaient adossés à un sujet unique regardant
l'intérieur de la stalle et qui existe encore. Il représente
des arbustes et des plantes croissant sur une sorte de monticule au
sommet duquel s'élève l'arbre de la science du bien
et du mal. Dans ce dernier sujet MM. Jourdain et Duval ont cru voir
le Paradis Terrestre ; des quatre autres, ils n'ont absolument rien
dit. Je penserais plutôt que ces cinq sujets représentaient
l'œuvre de chacun des cinq premiers jours de la Création
: a aurait contenu la création de la lumière,
oeuvre du premier jour (1); b, celle du firmament, ou deuxième
jour (2). Tel que nous l'avons décrit, le sujet central visible
seulement de l'intérieur, se rapporte bien à la création
des plantes, principal ouvrage du troisième jour (3). Le quatrième
jour ou création des astres, avait sans doute sa place en c
(4), et enfin le sujet d qui, nous l'avons vu, représente
des poissons nageant au milieu des flots, s'applique naturellement
à l'œuvre du cinquième jour (5). Cette manière
de représenter la Création est d'ailleurs parfaitement
conforme aux habitudes iconographiques du moyen âge (6), et
il aurait été fort extraordinaire que, dans une représentation
aussi développée de la Genèse, on ait omis l’œuvre
des cinq premiers jours, et commencé à la création
de l'homme. Il est très regrettable que la plupart de ces sujets
aient disparu; il eût été fort curieux de voir
comment le sculpteur s'en était tiré pour figurer des
sujets abstraits tels que la création de la lumière
ou celle du firmament, privé qu'il était de la ressource
des combinaisons de couleurs dont usaient les peintres et les miniaturistes
en pareil cas.
Le reste
de la jouée, sur l'extérieur, est consacré au
grand œuvre du sixième jour, à la création
de l'homme et à celle de la femme. Elle occupe deux sujets,
ou plutôt deux groupes de plus grandes dimensions que les précédents.
Dans le premier, Adam, entièrement nu, debout, dans la force
de l'âge, barbu, les mains jointes, les yeux tournés
vers le ciel, vient de recevoir le souffle de vie et rend grâces
à son Créateur (7). Dans l'autre, Adam endormi, pendant
que la femme, nue comme lui, les mains jointes (8), sort de son côté
(9). L'un et l'autre sujet se détache sur une prairie plantée
d'arbres et émaillée de fleurs
|
Notes |
(1) Gen., 1, 3-5.
(2) Gen., 1, 6-8.
(3) Gen., 1, 9-13.
(4) Gen., 1, 14-19.
(5) Gen., 1, 20-23.
(6) Cf. les miniatures des Bibles, et notamment celles du ms. 107
de la Bibl. d'Am. (Parch., 26 feuillets, 272 sur 188 mill.). Nous
citerons souvent ce beau ms. qui est à peu près contemporain
de nos stalles et qui présente avec elles de nombreuses analogies
iconographiques.
(7) Gen., 1, 26-27.
(8) Les mains sont brisées.
(9) Gen., 1, 27-30; II, 21-25. |
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représentant sans doute le Paradis Terrestre.
Ils étaient jadis abrités par de petits dais qui ont
été brisés.
Enfin
en haut de la jouée, et dominant toute la scène de la
Création, le Seigneur dans sa gloire, debout, bénissant
et entouré d'une auréole formée de nuages et
de petits anges. Il porte une longue barbe et de longs cheveux, et
il est nu-tête, drapé dans un ample manteau aux plis
magnifiques, attaché par un fermail. Il n'a aucun insigne ni
attribut. A ses côtés sont deux petites niches vides.
Tournons
la page, ou plutôt entrons dans l'intérieur de la stalle,
et, sur le revers des mêmes sujets, nous verrons l'histoire
de la faute. Au sommet du monticule où nous avons vu le troisième
jour de la Création s'élève droit le tronc de
l'Arbre de la science du bien et du mal, très curieusement
agencé dans les motifs d'architecture qui font comme le fond
du panneau, de sorte qu'on peut l'apercevoir de l'extérieur,
à travers les pillettes qui servent de support au Créateur.
Autour de ce tronc est enroulé le Serpent â tête
de femme et muni de bras; à sa droite, Adam portant la main
gauche à la gorge comme s'il sentait quelque chose qui ne peut
passer (1); de l'autre côté, sa femme, faisant un geste
de la main droite (2). Tous deux essaient de cacher leur nudité
avec des feuilles de figuier (3). Ces deux sujets, qui forment la
contrepartie de la création de l'homme et de la femme, étaient
aussi abrités par de petits dais qui n'existent plus. Tout
en haut de l'arbre, adossée au Créateur, est une délicieuse
image de la Vierge Marie, debout au milieu d'une gloire rayonnante,
les mains jointes, la chevelure tombant sur les épaules et
posant le pied sur la tête féminine du serpent (4).
Il était
impossible d'imaginer un arrangement plus ingénieux, plus décoratif
et en même temps plus expressif dans sa saisissante concision,
pour rendre par la sculpture, sur une partie de meuble, les mystérieux
débuts du genre humain.
Le long
du montant et du pendentif qui soutiennent le dais de cette stalle
maîtresse, quatorze petites niches abritaient jadis autant de
sujets sculptés à personnages, qui devaient se rapporter
aux événements qui ont accompagné ou suivi le
péché d'Adam et d'Ève et leur expulsion du Paradis
(pl. LXXXVI). Deux seuls subsistent. Dans le premier, au milieu d'une
campagne, au fond de laquelle on aperçoit un fort joli château,
Adam, couvert de la tunique de peaux de bêtes dont Dieu lui-même
l'a revêtu (5), moissonne un champ de blé. L'autre (6)
représente Dieu le Père, barbu, coiffé de la
triple couronne, couvert d'une chape à fermail, assis, bénissant
d'une main, et tenant le globe du monde dans l'autre. La partie inférieure
de quelques autres sujets subsiste encore, mais cela est insuffisant
pour permettre de les identifier (7).
L'histoire
des fils d'Adam est racontée sur la plinthe du haut dorsal
de cette même stalle et sur la rampe qui la sépare de
la suivante. |
Notes |
(1) Nous avons vu au XIII° siècle
dans les sculptures du trumeau de la porte de la Mère Dieu,
Adam faire exactement le même geste. Voy. ci-dessus, t. I, P.
337.
(2) Elle est brisée.
(3) Gen., III, 1-7.
(4) Gen., III, 15.
(5) Gen., III, 21.
(6) N'est pas visible sur la pl. LXXXVI.
(7) MM. Jourdain et Duval ont supposé qu'il y avait Dieu interdisant
à Adam et à Eve de toucher au fruit de l'arbre; Ève
cueillant le fruit, en offrant à son mari; les coupables chassés
du Paradis; Ève occupée à filer. |
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Haut
dorsal. - La plinthe sculptée en demi-relief (pl. LX,
en Y) représente un champ planté d'arbres, où
paissent un bœuf, un cheval et un troupeau de moutons. Caïn
les pieds nus et vêtu de peaux de bêtes, semble s'enfuir,
armé d'une mâchoire d'âne ou de cheval dont il
vient de frapper Abel. Celui-ci, une énorme blessure au front,
le visage marqué d'une grande expression de douleur, tombe
à terre. Comme son frère, il a les pieds nus, mais
sa robe est d'étoffe avec manches ; une sacoche est pendue
à sa ceinture, signe d'un progrès vers la civilisation;
sa barbe est naissante pour marquer qu'il est le plus jeune : Caïn
la porte tout entière et bien fournie (1). MM. Jourdain et
Duval font observer avec raison que le troupeau de moutons est du
côté d'Abel, tandis que le bœuf et le cheval,
animaux nécessaires à la culture, semblent accompagner
Caïn (2)
Parclose
1-2. - Sur la rampe qui sépare la stalle maîtresse
de sa voisine, trois groupes de personnages se rapportent à
la condamnation et au châtiment de Caïn (pl. LX, en Y).
1er
groupe (3). - Le Seigneur debout (4), parle d'un air sévère
à Caïn, qui l'écoute à demi agenouillé
et tenant toujours l'instrument de son crime (5).
2°
et 3° groupes. - Sur le rapprochement de deux textes de la Genèse
(6) les rabbins et quelques auteurs chrétiens ont édifié
une légende à laquelle sont consacrés les deux
derniers groupes de la rampe qui nous occupe. Lamech, descendant
de Caïn à la cinquième génération,
était devenu aveugle. Un jour que, conduit par un enfant,
il chassait aux bêtes, il tira une flèche sur Caïn,
qui, fuyant toujours le contact des hommes, était caché
dans un buisson. Il l'avait pris pour une bête fauve. Après
avoir maudit Caïn, Dieu avait ajouté que celui qui le
tuerait serait puni sept fois (7).
A la
partie supérieure de la rampe, Caïn, vêtu de sa
peau de bête, est blotti dans un buisson, tandis qu'un lapin,
le vrai gibier, sort paisiblement de son terrier. Un peu plus bas,
on voit Lamech, barbu, vêtu d'une longue robe avec crevés
aux emmanchures, souliers en bec de cane, chapeau sur la tête.
Accompagné d'un jeune enfant habillé d'une façon
analogue, une bourse à la ceinture, il bande son arc (8)
et vise son aïeul qu'il prend pour une bête sauvage.
Dorénavant, tous les personnages seront vêtus à
la moderne.
Stalle.
- A la partie haute de la parclose A, à gauche de l'occupant,
un bas relief représente Noé construisant l'arche,
aidé de deux ouvriers. Richement
|
Notes |
(1) Gen., IV, 8.
(2) « Fuit autem Abel pastor ovium et Cain agricola. Gen., IV,
2.
(3) En commençant par le bas.
(4) Son bras droit est brisé.
(5) Gen., IV, 9-15.
(6) « Dixitque Cain ad Dominum : Major est iniquitas mea quam
ut veniam merear. Ecce ejicis me hodie a facie terrae et a facie tua
abscondar, et ero vagus et profugus in terra, omnis igitur qui invenerit
me, occidet me. Dixitque ei Dominus : Nequaquam ira fiet, sed omnis
qui occiderit Cain septuplum punietur..... Dixitque Lamech uxoribus
suis Adae et Sellae : Audite vocem meam, uxores Lamech, auscultate
sermonem meum : quoniam occidi virum in vulnus meum et adolescentulum
in livorem meum. Septuplum ultio dabitur de Caïn, de Lamech vero
septuagies septies ». Gen., IV, 13-15; 23, 24.- Voy. MALE, L'Art
relig. du XIII° s., p. 268
(7) Cette légende est racontée tout au long dans la
Mer des histoires (Paris, Pierre Lerouge, 1488 ; 1er âge, chap.
XX, fol. XXVIII, v°) – Cf. JOURDAIN ET DUVAL - op. cit.
(8) L'arc est brisé. |
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vêtu d'une longue robe ornée de houppettes,
fendue sur les côtés avec collet crénelé
et coiffé d'un chapeau aux bords découpés, costume
qu'il gardera dans toutes les autres scènes, il frappe à
coups de maillet sur une planche qu'un ouvrier ajuste (1).
Sur la
miséricorde (pl. LX, en Y), des flots impétueux, dans
lesquels s'abîment maisons, clochers et édifices et où
l'on voit flotter des cadavres humains, rendent la scène terrible
du Déluge. Au milieu des eaux agitées vogue paisiblement
l'arche, figurée par un bateau crénelé et surmonté
d'un charmant édifice en pans de bois orné de moulures
et de pignons garnis de crochets (2).
Au bas
de la parclose de gauche A, sous le siège, le corbeau envoyé
par Noé hors de l'arche, se repaît du cadavre d'un animal
roulé par les eaux; à travers celles-ci on aperçoit
encore des cadavres humains (3).
Vis-à-vis,
contre la parclose de droite, on a figuré la colombe lâchée
une seconde fois par Noé, rapportant un rameau d'olivier. Les
eaux sont presque entièrement retirées, et la terre
commence à apparaître riante et plantée d'arbres
(4).
Noé
sorti de l'arche et offrant un sacrifice au Seigneur (5) forme le
bas-relief supérieur de cette même parclose (fig. 199).
Sur l'autel se consument deux brebis et deux oiseaux, pendant que
Noé est agenouillé, les mains jointes, la tête
découverte, son chapeau à ses pieds, les yeux fixés
vers l'autel. Derrière lui, deux de ses fils ont pris la même
attitude respectueuse; le troisième, Cham sans doute, est debout,
chapeau crénelé sur la tête, s'appuyant d'une
main sur un bâton, d'un air distrait.
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Notes |
(1) Gen., VI.
(2) Gen.. VII.
(3) Gen., VIII, 5-7.
(4) Gen., VIII, 10, 11.
(5) Gen., VIII, 20, 21. |
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RAMPE
B 55 (pl. LXXVIII, en Y). - C'est dans les groupes qui garnissent
la partie supérieure de la rampe contre la dernière
stalle basse de ce côté, qu'il faut aller chercher l'histoire,
trop populaire pour avoir été oubliée, de la
culture de la vigne par le patriarche et des suites fâcheuses
qu'eurent pour lui les premières fumées du vin (1).
Ses principales phases sont pittoresquement campées et divisées
en trois groupes, malheureusement mutilés par endroits.
1er groupe.
- Noé, la serpe pendue à la ceinture, enfonce un cep
de vigne dans la terre.
2e groupe.
- Ayant bu du vin, il s'enivra et parut nu dans sa tente, dit la Genèse.
Ici l'artiste, sans doute par un sentiment de pudeur, n'a pas pris
à la lettre le texte sacré comme on le faisait souvent
au moyen âge, mais il a supposé Noé, endormi par
l'effet de la boisson, étendu au milieu de pampres, un gobelet
rempli de la perfide liqueur à côté de lui. II
n'est point nu, comme dit l'Écriture, mais couvert de tous
ses vêtements qui sont seulement censés s'être
relevés d'une façon indécente. Sem et Japhet
arrivent à temps pour le couvrir d'un manteau. Leurs têtes
sont brisées, mais la position de leurs épaules indique
qu'ils devaient se détourner, pour ne pas voir leur père
dans une posture honteuse. La Bible dit qu'ils étaient entrés
à reculons. Cham, qui n'a pas craint d'affronter le déshonneur
de son père, se tient accroupi près de la tête
de celui-ci.
3e groupe.
- Revenu à la raison et ayant appris ce qui s'était
passé, Noé chargea de malédictions Chanaan, fils
de Cham. Debout, une main passée dans sa ceinture (2), Noé
semble parler d'un air sévère; Cham se tient devant
lui, chapeau sur la tête, une main sur la hanche (3) et détournant
la tête d'un air insolent. Un troisième personnage, aujourd'hui
brisé, mais dont on voit très bien les arrachements,
était sans doute le jeune Chanaan, à qui, suivant l'Écriture,
Noé a adressé ses malédictions.
MISÉRICORDES.
- Pl. LXI. 2. - Les miséricordes des deux stalles hautes du
côté sud, qui ont été supprimées
au XVIII°, siècle, se rapportaient sans doute aux commencements
de l'histoire d'Abraham, et dans celle qui porte le n° 2 de notre
plan, nous trouvons cette histoire au moment où Abraham vient
de tailler en pièces les rois conjurés qui avaient pris
son frère Loth dans Sodome, et où Melchisedech, roi
de Salem et prêtre du Très Haut, offre du pain et du
vin en actions de grâces et bénit Abraham (4). Vers un
autel à retable, couvert d'une nappe, tel qu'on en pouvait
voir dans les églises de France au commencement du XVI°
siècle, et sur lequel sont placés un pain et un riche
calice, Melchisedech s'avance les mains jointes : il est imberbe,
tonsuré, vêtu d'une longue robe fendue par devant, à
larges manches et serrée à la taille par |
Notes |
(1) Gen., IX, 20-27.
(2) L'autre est brisée.
(3) L'autre est brisée.
(4) Gen.. XIV, 18-20. |
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une courroie à laquelle pend une bourse.
Une mitre épiscopale est posée à ses pieds (1),
tandis que Dieu le Père, le globe crucifère dans la
main et bénissant, apparaît dans le ciel. A droite et
à gauche, deux personnages assistent à la cérémonie;
d'un côté, un homme barbu, sans doute Abraham, occupé
à faire taire un petit chien qui aboie, et de l'autre, un homme
plus jeune, imberbe, Loth apparemment, vêtu d'une robe à
longues manches fendues et joignant les mains d'un air recueilli.
MISÉRICORDE
3. - Trois anges s'approchent de la maison d'Abraham et, cordialement
reçus par lui, lui annoncent que Sara, dont la stérilité
le désolait, enfantera un fils (2). Abraham s'avance vers eux
et leur fait un geste accueillant. Les tailleurs d'images ont traduit
le « tabernaculum » de l'Écriture par une maison
en maçonnerie accompagnée d'arbres.
MISÉRICORDE
4. - C'est évidemment Dieu renouvelant à Abraham, au
moment où Sara demeurait incrédule à la prédiction
des trois anges, la promesse que toutes les nations seront bénies
en lui (3). La scène se passe dans la campagne. Le Seigneur
est debout à gauche du spectateur : il semble parler à
Abraham qui, placé au centre de la composition, l'écoute
plein d'effroi, posant un genou en terre. Du côté droit,
se tient un troisième personnage jeune et imberbe, aux longs
vêtements, paraissant s'éloigner comme à regret.
MM. Jourdain et Duval ont pensé que ce devait être le
fils du serviteur qu'Abraham regrettait de laisser pour héritier
(4).
MISÉRICORDE
5. - Dieu ayant voulu éprouver Abraham, lui a demandé
son fils Isaac en sacrifice. Abraham s'est levé la nuit, il
a préparé son âne et l'a chargé du bois
du sacrifice. Deux fagots sont attachés par des cordes aux
flancs de l'animal. Suivant le texte sacré, Isaac et deux jeunes
gens l'accompagnent (5).
MISÉRICORDE
6. - Au bout de trois jours de marche, étant arrivé
en vue du lieu que Dieu lui avait désigné, Abraham a
laissé là les deux jeunes gens, et continue sa route
seul avec son fils. Appuyé d'une main sur un bâton, et
tenant de l'autre une torche allumée, le glaive à la
ceinture et non à la main comme le dit la Bible, il montre
le chemin à Isaac qui a chargé le bois sur ses épaules
(6). On aperçoit une maison dans le lointain.
MISÉRICORDE
7. - Les deux jeunes gens et l'âne qu'Abraham a laissés
à l'écart. L'un des deux jeunes gens montre du doigt
la montagne que le patriarche et son fils ont sans doute commencé
à gravir. L'âne est débarrassé de son fardeau.
Pl. LXII. 8. - Abraham est parvenu au lieu du sacrifice et y a dressé
un autel. Sur cet autel, qui est en maçonnerie et orné
de moulures, le bois est disposé pour le feu qui consumera
la victime, et le jeune Isaac est agenouillé sur ce bûcher.
Il joint les mains et ses yeux sont couverts d'un bandeau (7) qu'Abraham
tient d'une main, pendant que, de l'autre, il brandit son glaive |
Notes |
(1) La liturgie catholique interdit de
rester couvert en présence du Saint-Sacrement, dont le sacrifice
de Melchisedech est le symbole.
(2) « Apparuit autem ei Dominus in convalle Mambre sedenti in
ostio tabernaculi sui in ipso fervore diei. Cumque elevasset oculos,
apparuerunt ei tres viri stantes prope eum », etc. Gen., XVIII,
1, 2. Se basant sur ces mots de saint Paul : « Latuerunt quidam,
angelis hospitio receptis » (Hebr., XIII, 2), les commentateurs
ont généralement considèré les «
tres viri » dont parle la Genèse comme des anges.
(3) Gen., XVIII, 17, 18. - Cette promesse, Dieu la lui a faite à
plusieurs reprises ; celle-ci fut la plus solennelle. - Du temps de
MM. Jourdain et Duval cette miséricorde avait été
changée de place. Elle a été réintégrée
depuis où elle doit être.
(4) Gen., XV, 2, 3. Passage de la Bible qui d'ailleurs, n'est pas
clair et doit être incomplet.
(5) Gen., XXII, 1-3
(6) Gen., XXII, 4-8
(7) Rappelons qu'au moyen âge les criminels avaient généralement
les yeux bandés pour être décapités. |
|
pour trancher la tête de son fils. Mais un ange
descendant du ciel saisit le glaive par la lame et l'arrache des mains
du patriarche. Le bélier qui prendra bientôt la place
d'Isaac est blotti dans un buisson (1).
MISÉRICORDE
9. - Abraham ayant aperçu ce bélier, l'a pris et l'a
placé sur le bûcher, il le frappe de son glaive, pendant
qu'Isaac, pieusement agenouillé, les mains jointes, assiste
au sacrifice (2).
MISÉRICORDE
10. - Les années se sont écoulées, Abraham est
devenu vieux et Isaac, parvenu à l'âge de se marier.
Ayant donc appelé le plus ancien de ses serviteurs (3), Abraham
lui fit placer la main sur sa cuisse et jurer de choisir pour Isaac
une épouse, non dans le pays de Chanaan qu'il habite, mais
d'en aller chercher une dans sa terre d'origine et dans sa propre
famille (4). Au milieu d'un paysage où l'on aperçoit
un château crénelé et une jolie maison ornée
d'une élégante petite frise sculptée, Abraham
est assis dans un fauteuil, la main droite levée ; le serviteur,
vêtu d'une ample houppelande à revers, le couteau et
la bourse à la ceinture, est agenouillé, la tête
découverte, tenant son chapeau d'une main et posant l'autre
sur la cuisse du patriarche.
MISÉRICORDE
11. - Et ayant pris dix chameaux du troupeau de son maître,
le serviteur partit pour la Mésopotamie emportant avec lui
de nombreux bagages (5). Les chameaux y sont bien tous les dix; chargés
chacun de deux malles ou coffres très curieux ou de deux paniers
d'osier. Un petit homme encapuchonné est monté sur l'un
d'eux. Le serviteur, qu'à la suite des commentateurs nous appellerons
Éliézer, l'épée au côté et
marchant à pied, conduit la caravane.
MISÉRICORDE
12 (fig. 193, Y). - Un soir qu'il avait fait reposer ses chameaux
près d'un puits, aux abords de la ville où demeurait
Nachor, frère d'Abraham, à l'heure où les femmes
avaient l'habitude de sortir pour tirer de l'eau, Éliézer
pria le Seigneur de lui faire connaître par un signe l'épouse
qu'il destinait à Isaac. On ne saurait trop admirer la façon
charmante dont l’entailleur a su rendre dans des groupes pleins
de vie et d'expression les différents épisodes de ce
récit, un des plus poétiques et un des plus populaires
de l'Ancien Testament. Sur le bord du puits qu'accompagne une petite
auge de pierre, Éliézer fléchissant le genou,
les mains jointes, la tête découverte, fait dévotement
sa prière au Dieu d'Abraham, tandis que les chameaux gardés
par leur petit conducteur, sont arrêtés derrière
lui. Rebecca s'approche, une cruche à la main. Elle est richement
vêtue, sa robe ornée de bouffettes est ouverte en carré
à la gorge, laissant voir une chemisette plissée, une
élégante coiffe couvre sa tête, « puella
decora nimis, virgoque pulcherrima ». Elle vient de quitter
la maison paternelle qu'on aperçoit à l'arrière-plan
(6).
MISÉRICORDE
13. - Éliézer a demandé à boire à
Rebecca, et celle-ci a approché sa cruche des lèvres
du serviteur, la penchant doucement elle-même pour l'aider à
boire. Les chameaux, le puits, l'auge et la maison sont toujours là
(1). |
Notes |
(1) Gen., XXII, 9-12.
(2) Gen., XXII, 13.
(3) La Bible dit « servum seniorem domus suae qui praeerat omnibus
quae habebat ». (Gen.. XXIV, 2), sans le nommer. Les commentateurs
en ont fait Éliézer, dont il n'est parlé que
lors qu'Abraham se lamentait de rester sans enfants : « Ego
vadam absque liberis, et filius procuratoris domus meae. iste Damascus
Eliezer ..... Et ecce vernaculus meus haeres meus erit ». (Gen.,
XV, 2, 3). Voy. ci-dessus, t. II, p. 173, note 4.
(4) Gen., XXIV, 1-9.
(5) Gen., XXIV, 10.
(6) Gen., XXIV, 11-16. |
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MISÉRICORDE
Pl. LXIII. 14. - La jeune fille a encore offert d'abreuver les chameaux.
De sa cruche, elle remplit l'auge qui accompagne le puits, et dans
laquelle les chameaux viennent se désaltérer. Reconnaissant
le signe qu'il a demandé à Dieu, Éliézer
a fait décharger un des coffres et l'a ouvert pour en tirer
des présents (2).
MISÉRICORDE
15. - Mais les chameaux ont fini de boire et se sont retirés
conduits par un piqueur armé d'un fouet. Éliézer
s'étant approché de celle qui venait de lui faire un
si gracieux accueil, lui offre des bracelets et des pendants d'oreilles
en or, lui demandant de qui elle est fille, et si dans la maison de
son père il y a place pour le recevoir. « Je suis fille
de Bathuel, répondit-elle, fils lui-même de Melcha et
de Nachor », et ajoutant : « II y a bien de la paille
et du foin chez nous, et de vastes locaux pour y demeurer »
(3).
MISÉRICORDE
16. - Rebecca a couru raconter à sa mère ce qui venait
de se passer; Laban, son frère, est allé trouver l'étranger
pour le presser d'accepter l'hospitalité chez son père,
et nous voici chez Bathuel (4). C'est bien l'intérieur d'un
bourgeois qui a « beaucoup de foin et beaucoup de paille ».
La salle est meublée d'un joli dressoir chargé de vaisselle.
Le maître de la maison en longue robe, comme il convient à
un homme grave, et sa femme (5) coiffée d'un bourrelet, sont
assis côte à côte sur un banc à haut dossier,
devant une table couverte d'une nappe et de pains (6), près
de laquelle un escabeau semble attendre un convive. Laban, jeune homme
imberbe, aux vêtements courts, introduit en le poussant par
l'épaule Éliézer qui semble faire des façons
pour entrer. Il s'est respectueusement découvert, et porte
la main à la poignée de son épée pour
l'empêcher de frapper le sol et de s'embarrasser dans ses jambes.
Son attitude et l'expression de son visage, son air gêné,
sont bien d'un homme d'un rang inférieur introduit pour la
première fois dans la maison d'un gros personnage. Bathuel
lui fait signe amicalement de se mettre à table, mais Éliézer
ne veut rien accepter avant de s'être acquitté de sa
mission (7).
MISÉRICORDE
17 (fig. 193, Z). - Les parents et la jeune fille ont donné
leur consentement, et le départ est décidé (8).
Rien de plus vrai et de plus naturellement simple que la manière
dont l'artiste a su rendre cette scène touchante du départ
de Rebecca.
Il y est arrivé non par des effets exagérés,
mais par je ne sais quel air de mélancolie pénétrante
répandu sur tous les visages et dans tous les gestes. On est
devant la maison de Bathuel qui se voit à gauche, à
l'arrière-plan. C'est Rebecca qui occupe le milieu de la composition.
Elle a toujours son riche costume, mais son volumineux couvre-chef
aurait été trop lourd et trop gênant pour un si
long voyage : elle l'a donc enlevé et, avec un geste d'une
coquetterie et d'un sentiment inexprimables, elle jette sur sa tête
un voile qui lui couvre |
Notes |
(1) Gen., XXIV, 17, 18.
(2) Gen., XXIV, 19-21.
(3) Gen., XXIV, 22-25.
(4) Gen., XXIV, 26-33
(5) MM. Jourdain et Duval ont pensé que la femme assise â
côté de Bathuel était Rebecca. Nous croyons plus
volontiers que c'est la femme de Bathuel : c'est la place de la maîtresse
de la maison : son visage est bien celui d'une femme âgée,
tandis que Rebecca a une figure qui respire la jeunesse. La différence
de costume doit être aussi intentionnelle, car, dans tous les
autres sujets où elle est représentée, Rebecca
est vêtue d'une façon identique; il serait bien étonnant
que dans celui-là seul on lui ait donné un costume différent.
(6) « Appositus est in conspectu ejus panis ». Gen. XXIV,
33.'
(7) Gen., XXIV, 32-54.
(8) Gen., XXIV, 55-58. |
|
tout le haut du visage, soit pour le protéger
contre les regards indiscrets, soit pour cacher ses larmes, car on
sent bien qu'elle pleure. Elle tourne tristement la tête vers
Éliézer qui la prend respectueusement par la main pour
l'aider à monter sur le chameau qui attend à côté
d'elle. Derrière Rébecca, une femme âgée,
coiffée d'un bourrelet, sa nourrice peut-être, qui va
partir avec elle, semble lui faire entendre des paroles de consolation,
tandis qu'un jeune homme, Laban, sans doute, s'avance pour lui dire
adieu. Dans le fond, le petit piqueur armé de son fouet, s'apprête
à faire partir les chameaux (1).
MISÉRICORDE
18. - L'entailleur a passé sous silence l'arrivée de
Rébecca près d'Isaac et son mariage (2), et nous la
montre tout de suite prête à devenir mère. Les
deux enfants dont elle était grosse s'entrechoquaient dans
son sein. Effrayée, Rébecca consulta le Seigneur, et
celui-ci lui répondit : « Deux races sont dans tes entrailles,
et deux peuples en sortiront dont l'un surmontera l'autre, et le plus
grand servira le plus petit » (3). Au milieu d'un lieu clos
de murs, aux angles duquel s'élèvent deux maisons gothiques
à pignons et à perrons, Rébecca, dans un état
de grossesse très visible, est seule, agenouillée, les
mains jointes, devant un autel à retable, semblable à
celui sur lequel nous avons vu Melchisedech offrir son sacrifice (4),
et couvert seulement d'une nappe.
MISÉRICORDE
19. - Les deux enfants sont nés et ont grandi. Esaü, homme
rustique et velu, revient de la chasse à laquelle il était
fort habile, ce qui l'avait fait préférer par son père,
parce qu'il lui faisait manger du gibier qu'il tuait. Il est vêtu
d'une saie fortement décolletée, à travers les
ouvertures de laquelle on aperçoit les poils qui lui couvrent
le corps; il a la bourse et le carquois à la ceinture, et tient
un arc. Trois chiens à poil ras l'accompagnent. Homme d'intérieur,
de mœurs plus douces, et chéri de Rébecca, Jacob
vient de franchir le seuil de la maison de son père que l'on
aperçoit derrière lui. Sa plus petite taille, son air
ingénu marquent bien son infériorité d'âge.
Il tient un plat de lentilles; la Bible dit « pulmentum »
Esaü, qui est fatigué et meurt de faim, va vers lui d'un
air qui montre bien que son estomac est prêt à toutes
les concessions, et lève la main comme pour jurer qu'il abandonne
à son frère son droit d'aînesse pour le ragoût.
Un des chiens qui a flairé le mets, vient se frotter d'un air
câlin contre la jambe de Jacob (5).
MISÉRICORDE
Pl. LXIV. 20. - Isaac devenu vieux et aveugle envoie son fils Esaü
à la chasse, pour lui chercher quelque gibier, après
quoi il le bénira avant de mourir (6). Comme il aime à
le faire, l'entailleur a représenté cette scène
en plein air avec une maison dans le lointain. Au milieu de la composition,
Isaac est assis dans un fauteuil : sa longue barbe dénote son
grand âge, et il est vêtu d'une robe ample et traînante
à la manière des personnes âgées, la tête
couverte d'un chapeau à gourmettes. Esaü, s'approche de
son père en se découvrant, et semble lui dire «
Adsum ». Derrière le siège du patriarche, Rebecca,
vêtue comme précédemment, semble écouter
ses paroles (7). |
Notes |
(1) Gen., XXIV, 59-61.
(2) Gen., XXIV, 62.67.
(3) Gen., XXV, 2 1-23.
(4) Mis. 2.
(5) Gen., XXV, 27-34.
(6) Gen., XXVII, 1-5.
(7) « Quod cum audisset Rebecca », etc. Gen., XXVII, 5. |
|
MISÉRICORDE
21. - Après le départ d'Esaü Rébecca alla
tout raconter à Jacob. « Va vite me chercher deux des
meilleurs chevreaux du troupeau, afin que j’en fasse un plat
du goût de ton père, et qu'en ayant mangé, il
te bénisse avant de mourir ». Vainement Jacob a-t-il
objecté que, son frère étant velu, Isaac le reconnaîtra
facilement, il faut obéir (1). La scène se passe encore
au dehors, dans un lieu planté d'arbres, où l'on aperçoit
une maison et, plus loin, une espèce de clocher. Rébecca
debout parle à Jacob qui manifeste son étonnement d'un
air scandalisé. Il a derrière lui un troupeau de boucs
et de brebis.
MISÉRICORDE
22. - Jacob rapporte les deux chevreaux à sa mère :
celle-ci s'est armée d'un grand couteau et s'est mise à
en dépecer un sur une table, tandis que Jacob tire l'autre
d'un sac. Dans le fond est un banc à haut dossier, dont les
panneaux sont à draperies plissées, et derrière
lequel on aperçoit la campagne et des maisons, ainsi que le
troupeau diminué de deux chevreaux (2).
MISÉRICORDE
23. - « Et elle le revêtit des habits d'Esaü, les
meilleurs qu'elle avait à la maison, et couvrit avec les peaux
des chevreaux ses mains et les parties nues de son cou » (3).
Cette scène et les quatre suivantes se passent à l'entrée
d'un vaste château que nous voyons successivement sous ses différents
aspects : pignons de diverses formes, toitures en tuiles ou en ardoises,
tours crénelées, clochetons, portes à pentures
de fer, perrons, etc. Jacob a revêtu les plus beaux habits de
son frère, ses habits de fête : c'est un long manteau
traînant, ouvert par devant, à larges manches et muni
d'une pèlerine de fourrures avec riche fermail; il est coiffé
d'un large chapeau. Rébecca achève de lui recouvrir
les mains avec la peau des chevreaux taillée en forme de gants.
MISÉRICORDE
24. - Isaac est assis dans un fauteuil en forme d'X, à la porte
du château. Jacob travesti, la tète découverte,
s'est approché de lui avec le fameux « pulmentum »
dressé sur un plat qu'il lui présente en fléchissant
le genou. Rébecca vient derrière lui, apportant, surcroît
d'attention, une énorme cruche et une écuelle (4).
MISÉRICORDE
25. - Isaac s'est bien un peu étonné de ce que son fils
soit revenu si tôt de la chasse, mais on lui a répondu
que la Providence lui avait fait tout de suite rencontrer le gibier
qu'il cherchait, et, pour calmer ses soupçons, on lui a fait
toucher les mains recouvertes des peaux de chevreaux, et Jacob et
Rébecca se sont agenouillés, les mains jointes, pour
recevoir la bénédiction paternelle. Isaac, à
demi levé de son siège, plaçant sa main gauche
sur la tête de son fils, le bénit de la droite, mais
tout en semblant répéter : « Vox quidem, vox Jacob
est, sed manus, manus sunt Esau » (5).
MISÉRICORDE
Pl. LXV. 26. - « Jacob parti, arrive Esaü » (6).
Le carquois encore au côté, il vient vers son père,
la tête découverte, et lui présente, en fléchissant
le genou, le produit de sa chasse servi sur un plat. Isaac se renverse
sur son fauteuil, les mains étendues, de surprise et d'indignation
(7). Jacob, agenouillé à l'écart, rend grâces
au Seigneur (8). |
Notes |
(1) Gen., XXVII 5-13.
(2) Gen., XXVII 14
(3) Gen., XXVII, 15, 16.
(4) Gen., XXVII, 17-19.
(5) Gen., XXVII 20, 21.
(6) « Et egresso Jacob foras, venit Esau ». Gen., XXVII,
3o.
(7) « Exapavit Isaac stupore vehementi ». Gen., XXVII,
33.
(8) Gen., XXVII, 30-34 |
|
MISÉRICORDE
27. - La colère d'Esaü fut terrible, « irrugiit
clamore magno », menaçant de tuer Jacob dès qu'Isaac
aurait rendu le dernier soupir. Mais Rébecca fit fuir Jacob
à Haran auprès de Laban, son frère, sous prétexte
d'aller chercher une femme (1). Jacob, vêtu d'une saie à
plastron, la bourse au côté, et le chapeau à la
main, se présente devant son père, avec un geste qui
indique qu'il va partir. Isaac, assis dans un fauteuil à haut
dossier, étend sa main vers lui pour lui donner encore une
fois avant de partir la bénédiction d'Abraham. Rébecca
est debout à côté de lui, le visage tourné
vers Jacob; Esaü se tient à l'écart faisant vers
son frère un geste menaçant.
MISÉRICORDE
28. - Jacob arriva un soir auprès d'une ville, et ayant posé
sa tête sur une pierre, il s'endormit. Pendant son sommeil,
il vit en songe une échelle qui allait de la terre au ciel,
et le long de laquelle des anges montaient et descendaient ; au haut
de l'échelle il aperçut le Seigneur qui lui lit les
solennelles promesses que l'on sait (2). Raconter cette histoire si
connue, c'est décrire la miséricorde. Jacob est endormi
accoudé sur une pierre, vêtu comme nous l'avons vu lorsqu'il
prit congé de son père, le chapeau sur la tête.
Devant lui, des anges montent et descendent le long d'une échelle
au haut de laquelle on aperçoit le Père Éternel,
tenant le globe du monde et bénissant. Dans le fond, sur une
hauteur, se dresse l'enceinte fortifiée de la ville de Luza,
flanquée de tours carrées.
MISÉRICORDE
29. - A son réveil, Jacob s'écria plein de frayeur :
« Oui, le Seigneur était ici et je ne le savais point.
Que ce lieu est terrible ! C'est la maison de Dieu et la porte du
ciel ». Il s'est donc levé et, une fiole à la
main, il répand de l'huile sur la pierre qu'il a érigée
comme un titulus. Ici, la ville de Luza, que Jacob a désormais
appelée Bethel, est figurée par plusieurs bâtiments
à tourelles et à pignons, et beaucoup plus rapprochés
que dans la scène précédente (3).
MISÉRICORDE
30. - Jacob a poursuivi sa route vers l'Orient, et est arrivé
dans un champ où pâturaient trois troupeaux auprès
d'un puits couvert d'une pierre, et s'étant adressé
aux bergers, il leur demanda d'où ils étaient. De Haran,
répondirent-ils. - Connaissez-vous Laban, fils de Nachor? –
Certainement. – Est-il en bonne santé? – Il se
porte bien, et voici sa fille Rachel qui arrive avec son troupeau
(4). Nous sommes au moment où, à ces mots, Jacob s'approche
de sa cousine. Dans un lieu planté d'arbres, est un puits couvert
d'une pierre et accompagné d'une auge. Jacob, appuyé
sur un bâton, semble parler à Rachel, qui, vêtue
d'une robe fort élégante, ouverte en carré et
laissant voir les fins plis de la chemise sur la poitrine; un bourrelet
sur la tête, la houlette à la main et accompagnée
de ses moutons, va vers Jacob qu'elle prend par le poignet. De l'autre
côté, sont deux bergers vêtus de saies et ayant
sur les épaules le chaperon tel que le portaient encore les
gens de la campagne et du commun au commencement du XVI° siècle;
l'un d'eux tient une houlette, l'autre joue de la musette. Une brebis
et un chien sont à leurs pieds.
MISÉRICORDE
31. – Prévenu par sa fille, Laban est venu lui-même
chercher le fils de sa sœur. Ce n'est plus le fils de famille
jeune et alerte que nous avons vu remplir avec Éliézer
le même devoir d'hospitalité, mais un respectable vieillard
à longue barbe, vêtu d'une robe tramante à pèlerine
de |
Notes |
(1) Gen., XXVII, 34-46; XXVIII, 1-4
(2) Gen., XXVIII, 5-15
(3) Gen., XXVIII, 16-22.
(4) Gen., XXIX, 1-9 |
|
fourrures, coiffé du chaperon rigide à
longue cornette, la bourse au côté et s'appuyant sur
un bâton. Jadis il poussait amicalement; mais sans façon,
Éliézer par l'épaule, tandis que son neveu, il
l'a pris par la main avec bonté, et le mène doucement
vers le seuil de sa maison, où apparait Rachel, souriante et
aimable; la houlette à la main et deux brebis à ses
pieds. Dans le lointain on aperçoit le puits maintenant découvert,
parce que Jacob a enlevé la pierre qui le fermait, pour aider
sa cousine à abreuver son troupeau (1).
RAMPE
E 32 (pl. LXXXI, en Y). - L'artiste a passé sous silence le
double mariage de Jacob avec les deux filles de son oncle, Lia et
Rachel, la naissance de ses douze fils, ainsi que le stratagème
dont il usa pour s'attribuer une grande partie des troupeaux de son
beau-père, et il nous conduit tout de suite au moment où,
mécontent du peu de sympathie qu'il trouvait auprès
de Laban et de ses fils, pressé d'ailleurs par Dieu de retourner
dans son pays, il a fait venir ses deux femmes dans le champ où
il faisait paître ses troupeaux, et s'enfuit avec elles, ses
enfants et tous ses biens (2). Le tout est distribué en quatre
groupes.
1er groupe.
- Dans le premier, au bas de la montée, Jacob s'entretient
avec Rachel et Lia de son projet de départ. Tous trois sont
debout. Jacob, encore tout jeune homme dans la miséricorde
qui précède, a vieilli et est devenu patriarche : sa
barbe a poussé, sa robe qui tombe jusqu'à la cheville
est munie d'un collet à capuchon, une bourse pend à
sa courroie, il est coiffé d'un chapeau. Rachel porte une chaîne
à la ceinture, et, sur la tête, un bourrelet maintenu
par une gourmette. Lia n'est pas moins élégamment habillée
: robe ornée de retroussis à bouffettes et relevée
des deux côtés par des affiquets, sur la tête,
une espèce de fichu. Elle tient à la main un mouchoir,
comme si elle allait pleurer. Deux moutons sont près d'elles.
2e. et
3e groupes. - Le départ de Jacob avec tous ses biens forme
le sujet des deux groupes suivants. Dans le premier, deux chevaux
chargés chacun de deux coffres, sont conduits à la main
par deux serviteurs, vêtus de saies et coiffés de chapeaux;
l'un d'eux, détail rare dans les stalles, porte encore des
chaussures à la poulaine. Un chameau, deux bœufs et un
bélier conduits de même par deux serviteurs, forment
le second groupe. Le long de la rampe, un bœuf, un bouc, cinq
brebis, un chien et un animal mutilé suivent la caravane.
4e groupe
(fig. 202, en Y). - Au haut de la rampe, sur le montant le plus élevé,
MM. Jourdain et Duval ont vu Jacob faisant part à Laban de
ses projets de départ. Nous ne sommes pas de cet avis. Outre
que le groupe en question ne serait pas à sa place chronologique,
il comporte deus personnages : le premier, est un vieillard à
longue barbe, vêtu d'une robe traînante à pèlerine
de fourrures, la tête couverte d'un bonnet tombant carrément
sur les épaules et terminé dans les angles par des bouffettes;
par-dessus ce bonnet est posé un chapeau orné d'une
enseigne et d'une longue cornette qui, passant sous l'aisselle, est
portée sur l'avant-bras droit. Il s'appuie sur un bâton.
Il n'y a pas de difficulté à reconnaître Laban
dans ce grave et majestueux personnage, dont le costume diffère
peu de celui qu'il portait dans la miséricorde qui précède.
|
Notes |
(1) Gen., XXIX, 10-13.
(2) Gen., , XXXI, 1-22. |
|
Mais nous ne pouvons nous décider à identifier
avec Jacob le personnage au visage rasé qui s'avance vers lui
en se découvrant et en fléchissant légèrement
le genou. Il porte un costume très particulier et bien différent
de celui des autres : houseaux avec crevés à hauteur
de la cheville, saie descendant un peu plus bas que le genou, rattachée
sur les épaules par des aiguillettes et ornée de bandes
horizontales par-dessous lesquelles le vêtement est plissé
à hauteur du buste; dépourvue de manches, cette saie
laisse sortir entièrement celles d'un habit de dessous. Ces
manches sont extrêmement bouffantes depuis l'épaule jusqu'au
coude, et plus serrées avec un rang de crevés vers le
poignet. Une longue épée est pendue à sa ceinture,
et toute sa chevelure est enfermée dans un filet. Si nous nous
reportons au premier groupe, nous nous demanderons pourquoi cette
différence de costumes, pourquoi ici l'artiste aurait représenté
Jacob sans barbe, avec un accoutrement si peu sérieux, si peu
conforme à sa dignité de patriarche, déjà
père de douze enfants. D'un autre côté, si Jacob,
en effet, avait fait part à son beau-père de son premier
projet de retourner dans son pays (1), la Bible ajoute aussitôt
que, sur les instances de Laban, Jacob avait fini par promettre de
rester à son service, sous certaines conditions tandis que,
beaucoup plus tard, lorsque Jacob est décidé à
partir, il se garde d'en prévenir son beau-père (3).
C'est un petit détail du costume de l'interlocuteur de Laban,
détail qui a si fort étonné MM. Jourdain et Duval,
qui va précisément nous le faire reconnaître.
" Nuntiatum est Laban die tertio quod fugeret Jacob »,
ajoute la Bible (4). Or notre personnage porte sur sa poitrine, du
côté gauche, une petite plaque en forme d'écusson
(5). C'est tout simplement une plaque de messager. Les messagers officiels
des villes et des grands personnages étaient, en effet, dès
le XV° siècle, peut-être avant, revêtus de
cet insigne. C'était souvent, et dans les premiers temps, une
boîte en forme d'écu, mais souvent aussi une simple plaque
(6). Il n'y a donc pas de doute, c'est bien le messager qui vient
annoncer à Laban la fuite de son gendre, et nous voyons dans
toute l'originalité et tout le pittoresque de son costume officiel,
un messager du temps de Louis XII. Nous trouverons encore d'autres
messagers porteurs du même insigne.
Nous savons
qu'il manque ici une stalle basse. Peut-être représentait-elle
Laban à la poursuite de Jacob et Dieu lui apparaissant pour
lui défendre de rien dire d'offensant à son gendre.
MISERICORDE
- P1. LXVI. 32. - Toujours est-il que la miséricorde 32 |
Notes |
(1) Gen., XXX, 25, 26.
(2) Gen., XXX, 27-34.
(3) « Noluitque Jacob confiteri socero suo quod fugeret ».
Gen., XXXI, 20.
(4) Gen., XXXI, 22.
(5) Suivant MM. Jourdain et Duval, cet écu était aux
armes de France. I1 est absolument vide aujourd'hui, et ne parait
même avoir été chargé d'aucunes pièces
héraldiques, ce qui eût d'ailleurs été
bien difficile, vu ses minuscules dimensions.
(6) 23 oct. 1424 : ordonn. par l'échevin. d'Am. « que
Jaquot de Revelle, en alant et chevauchant ès voyages et besongnes
de la ville, aura et lui sera livré, aux- despens d'icelle
ville, un escuchon ou boite d'argent armoié des armes de ladicte
ville, du poix d'un marc d'argent ». (Arch. de la ville d'Am.
BB 3, fol. 3 et suiv.). – Dans le même registre, le même
Jacquot de Revelle est souvent qualifié de sergent et messager
de 1a ville. – 1455 Thomas Dubuisson, messager, reçoit
de la ville d'Amiens 40 s., pour l'aider à payer « ung
esmail ou enseigne d'argent doré, pour porter à sa poitrine,
comme messagier, ouquel esmail estoient empraintes et pourtraictes
les. armes de ladite ville ». (Ibid., BB 7, fol. 253 v°).
– En 1492, v. s., Jean Godhart, messager, est autorisé
à porter un écu aux armes de la ville d'Am. (Ibid.,
BB 16, fol. 231), et, en 1520, même permission est accordée
à Nicolas Davesnes (Ibid., 1313 22, fol. 4,4 v°), - etc. |
|
nous met au pied du mont Galaad, où Laban a atteint
Jacob, lui reprochant sa fuite (1). Laban, reconnaissable à
son costume, la main levée d'un geste de reproche, parle à
Jacob. Celui-ci a la barbe et la robe un peu moins longues que dans
le groupe qui précède, et porte une espèce de
gibecière pendue à la ceinture. Il met sa main droite
sur sa poitrine, comme pour se justifier. Tous deux paraissent très
animés. Rachel et Lia, que Jacob montre de la main gauche à
son beau-père, se parlent à l'écart. Laban est
accompagné de trois hommes armés, coiffés d'espèces
de barbutes ou salades à jugulaires relevées, et portant
des cuirasses de plates; l'un d'eux tient la hampe d'une arme dont
l'extrémité supérieure est brisée, et
qui devait être une hallebarde.
MISERICORDE
33. – Après avoir vainement scruté les bagages
et les tentes de Jacob pour y retrouver ses dieux que Rachel avait
emportés et soigneusement cachés sous la litière
d'un chameau, après avoir essuyé les reproches de son
gendre qui ignorait le larcin, Laban a proposé à Jacob
un pacte d'alliance. Ayant donc pris une pierre qu'il éleva
comme un « titulus », il fit faire de même à
tous ses parents; ils en formèrent un « tumulus »
sur lequel tous prêtèrent serment. Puis, ayant offert
un sacrifice et mangé le pain, ils se séparèrent
(2). Des pierres entassées au milieu de la composition représentent
le « tumulus », sur lequel Jacob et Laban étendent
la main pour jurer. Laban est toujours accompagné de ses deux
suivants armés. Près de Jacob se tiennent un homme imberbe,
à robe courte, et drapé dans un manteau, et Rachel seule,
reconnaissable au bourrelet dont elle est coiffée et tenant
un bâton.
MISERICORDE
34. – Jacob poursuivant son chemin, des anges vinrent au-devant
de lui. « Voilà les armées de Dieu », dit-il
en les apercevant, et il appela ce lieu Mahanaïm, c'est-à-dire
le camp (3). Sur le seuil d'une jolie maison toute en style de la
Renaissance, Jacob, la tête découverte, fait une profonde
révérence à trois anges vêtus d'aubes et
d'amicts, les pieds, nus, qui s'avancent vers lui. Le premier semble
parler à Jacob, un autre est dévotement agenouillé,
les mains jointes. Il faut remarquer que Jacob est plus vieux que
dans les compositions précédentes et que sa barbe est
devenue sensiblement plus longue.
MISERICORDE
35. – Près d'atteindre le sol natal, Jacob envoie des
messagers vers son frère pour lui porter des propositions de
paix et pour lui offrir des présents (4). A l'extérieur
d'un château, le patriarche est assis dans un fauteuil en X
à haut dossier, ayant à ses côtés un homme
imberbe, coiffé d'un chapeau. Il donne des ordres à
deux messagers, vêtus chacun d'une saie et l'épée
au côté. Celui qui est le plus proche de Jacob est imberbe,
les cheveux longs ; un petit manteau est jeté sur ses épaules.
Il a complètement enlevé son chapeau qu'il tient à
la main, et semble écouter attentivement ce qui lui est dit.
L'autre fait le geste de se découvrir : il porte les cheveux
courts et la barbe entière et n'a point de manteau, laissant
voir sur sa poitrine la plaque en forme d'écu, insigne des
messagers (5).
MISERICORDE
36. - Mais les messagers sont retournés vers Jacob pour lui
annoncer qu'Esaü marche sur lui à la tête de quatre
cents hommes (6). Jacob est assis dans une chaire à bas dossier.
Son costume diffère un peu de celui |
Notes |
(1) Gen., XXXI, 23-31.
(2) Gen., XXXI, 44-55
(3) Gen.,- XXXII, 1,2
(4) Gen., XXXII, 3-5.
(5) Voy. ci-dessus, t. II, p. 180.
(6) Gen., XXXII, 6 et seq. |
|
qu'il portait dans les sujets précédents
: sa robe, à collet festonné, est un peu moins longue
et est fendue et relevée par devant. Un des deux messagers,
la tête découverte, s'avance vers lui. Le patriarche
fait un geste d'effroi et d'étonnement (1). Ses gens, déjà
armés pour se défendre, se tiennent derrière
lui. Ils sont figurés par quatre personnages dont trois portent
des saies, cuirasses, et casques semblables à ceux que nous
avons vus aux compagnons de Laban; ils ont l'épée au
côté et un bâton à la main. Dans le fond,
on aperçoit d'un côté une maison, et de l'autre,
un moulin à vent en bois, monté sur pivot.
MISERICORDE
37. – Jacob a pris ses dispositions de défense; il a
mis de côté des présents pour apaiser le courroux
de son frère, il a prié le Dieu d'Abraham, puis «
il demeura seul, et voilà qu'un homme lutta contre lui jusqu'au
matin » (2). Cet homme n'ayant pu le terrasser l'appela Israël,
parce qu'il avait été fort contre Dieu (3). Suivant
l'interprétation du prophète Osée (4), qui est
universellement admise, on a représenté un ange luttant
corps à corps contre Jacob, au milieu d'un paysage où
l'on voit des arbres, des châteaux et des maisons.
MISERICORDE
38. – Rassuré sur sa force, Jacob a repris sa route et
a bientôt atteint son frère Esaü. Il a placé
en avant ses deux femmes et leurs servantes avec leurs enfants et
s'est prosterné sept fois devant son frère. Alors Esaü
courut au-devant de lui et l'embrassa étroitement en pleurant
(5). Au centre de la miséricorde, les deux patriarches s'embrassent
avec effusion la tête découverte. Il est difficile de
les distinguer : mais il est vraisemblable que c'est Jacob qui se
trouve à la gauche du spectateur. L'un et l'autre est accompagné
d'un personnage en costume civil et de trois hommes armés qui
tiennent des épées nues et des hallebardes.
MISERICORDE
39. - Passant par-dessus plusieurs chapitres de la Genèse,
d'ailleurs moins connus, nous arrivons tout de suite à l'histoire
de Joseph, qui sera longuement développée. Elle est
prise au moment où Joseph raconte à ses frères
qu'il a vu en songe sa gerbe se dresser, tandis que les leurs l'entouraient
et paraissaient l'adorer (6). Sur un côté. de la miséricorde,
Joseph, dont la robe traînante (7) lui donne une gravité
qui contraste avec son jeune âge, parle debout à ses
onze frères qui l'écoutent avec des mouvements divers.
Derrière Joseph, le songe est matérialisé par
deux gerbes placées l'une les épis en haut, et l'autre
les épis en bas.
MISERICORDE
40. - Dans cette miséricorde, disposée à peu
près de la même manière que la précédente,
Joseph raconte à ses frères une autre vision qu'il eut
durant son sommeil. Le soleil (8). la lune et onze étoiles
sont figurés derrière lui, pour marquer qu'il s'est
vu adoré par ces astres (9).
RAMPE
D 40 (pl. LXXX, en Z). - 1°' groupe (10). - Un jour que ses fils
aînés étaient allés faire paître
leurs troupeaux à Sichem, Jacob envoya Joseph s'enquérir
de leurs nouvelles (11). Jacob est debout, drapé dans de longs
et |
Notes |
(1) « Timuit Jacob valdc ».
Gen., XXXII, 7.
(2) « Mansit solus, et ecce vir luctabatur cura eo usque mane
». Gen., XXXII, 24.
(3) Gen., XXXII, 23-32.
(4) Osée, XII, 2-4.
(5) Gen., XXXIII.
(6) Gen., XXXVII, 6-8.
(7) Sans doute la « tunica talaris et polymita » que son
père lui avait donnée. Gen., XXXVII, 3, 23.
(8) MM. Jourdain et Duval n'ont pas vu le soleil, mais il y est effectivement
quoique à demi caché par le chapeau de Joseph.
(9) Gen., XXXVII, 9.
(10) Celui qui surmonte le plus bas montant
(11) Gen., XXXVII, 12-14. |
|
amples vêtements ; il parle à Joseph figuré
par un tout jeune homme, presque un enfant, à l'air simple
et ingénu. Sa robe talaire à longues manches fendues,
serrée par une courroie, est ouverte en pointe par le haut,
laissant apercevoir l'encolure d'un vêtement de dessous décolleté
et le haut d'une chemise plissée. Il tient son chapeau à
la main, et semble écouter son père avec attention et
respect.
2e groupe.
- Arrivé à Sichem, Joseph a appris d'un homme qui errait
dans un champ que ses frères étaient à Dothaïn
(1). A travers un pays planté d'arbres, Joseph et l'inconnu
s'avancent vers ce lieu. Joseph, reconnaissable à son air juvénile
et à son costume qui n'a pas changé et dont les longues
manches fendues flottent au vent de la façon la plus originalement
élégante, marche à grands pas à côté
de l'inconnu qui s'appuie sur un bâton.
3e et
4e groupes. – Les dix frères aînés, distribués
dans les deux derniers groupes, regardent leur frère arriver.
Les expressions de leurs visages sentent l'ironie mêlée
de dépit et ils semblent se dire : « Voici notre songeur,
venez, tuons le » (2). Les six frères qui composent le
troisième groupe sont accroupis les regards dirigés
vers Joseph. Un seul détourne la tête; les quatre autres,
qui surmontent le montant le plus élevé, sont debout
et semblent se concerter. Il faut remarquer dans ces deux groupes
pleins de vie. et d'expression, une variété extraordinaire
d'attitudes et de costumes : habits tailladés, coiffures diverses,
chapeaux (3) avec ou sans plumes, capuchon, turbans. Les uns sont
entièrement rasés, d'autres portent la barbe entière,
d'autres la moustache seulement. Des moutons pâturent le long
de la traverse supérieure de la rampe.
RAMPE D 41
(pl. LXXX, en Y). - Ruben a dissuadé ses frères de tuer
Joseph. Ils le mettront seulement dans une vieille citerne desséchée
et abandonnée (4).
1er groupe.
– Trois frères de Joseph lui enlèvent sa longue
tunique, laissant voir une saie serrée à la taille par
une courroie à laquelle une jolie bourse est suspendue (5).
2e groupe.
– Deux autres frères l'enfoncent dans la citerne, à
côté de laquelle la tunique gît par terre. Joseph
joint les mains d'un air innocent et résigné (6).
3e et
4e groupes. – Pour plus de commodité, sans doute, et
pour en finir avec la robe de Joseph, l'ordre des événements
se trouve légèrement interverti : on a figuré
ici un fait qui, chronologiquement, n'a eu lieu qu'après ce
qui va suivre. D'une part deux frères de Joseph sont accroupis
près d'un chevreau écorché; le long duquel ils
promènent la tunique. D'autre part, la robe sanglante est apportée
à Jacob pour lui faire croire qu'une bête féroce
a dévoré son fils. Jacob est debout, faisant un geste
de surprise et de douleur, à la vue de la tunique que deux
envoyés de ses fils lui présentent d'un air hypocritement
consterné (7). Comme dans la rampe précédente,
des moutons paissent le long de la traverse supérieure.
|
Notes |
(1) Gen., XXXVII 15-17.
(2) Gen., XXXVII, 19, 20.
(3) Un de ces chapeaux est porté sur le dos, retenu sur la
poitrine par les gourmettes qui peuvent se serrer ou se desserrer
à volonté.
(4) Gen., XXXVII, 21, 22.
(5) « Nudaverunt eum tunica talari et polymita ». Gen.,
XXXVII, 23. - Le visage entier de deux frères et le haut de
celui de Joseph sont brisés.
(6) Gen., XXXVII, 24. - Un des deux frères a la tête
entièrement enlevée.
(7) Gen., XXXVII, 31-33. |
|
Ne quittons pas les rampes de ce passage, sans admirer
le pittoresque avec lequel les groupes sont arrangés, la variété
extrême des attitudes, en même temps que le mouvement
et la vie que l'artiste y a répandus, sans jamais sortir de
la silhouette générale de cette partie du meuble.
MISERICORDE
- Pl. LXVII. 41. – S'étant assis pour manger, les frères
de Joseph virent arriver des marchands Ismaëlites qui venaient
de Galaad et qui portaient en Égypte des aromates, de la résine
et de la myrrhe (1). Neuf frères de Joseph – Ruben était
absent – ont pris place autour d'une table couverte d'une nappe,
et au milieu de laquelle un plat est posé. L'un d'eux tient
une tasse dans laquelle il s'apprête à boire; deux sont
assis sur des escabeaux. Deux marchands drapés dans d'amples
manteaux, s'approchent avec un chameau chargé de deux paniers.
Dans le lointain, on aperçoit une petite maison.
MISERICORDE
42. – Sur le conseil de Juda, et pour ne pas souiller leurs
mains d'un crime, ils traitent avec les marchands pour vingt pièces
d'argent et leur livrent Joseph (2). Un des frères de Joseph,
Juda sans doute, reçoit une pièce de monnaie d'un des
marchands, pendant que deux autres retirent Joseph de la citerne.
Trois autres personnages assistent à la scène. Dans
le fond, on aperçoit des arbres et une maison.
MISERICORDE
43. – La miséricorde qui, par la suite des événements,
devrait venir ici, occupe maintenant le n° 110, c'est-à-dire
le dernier, mais, pour ne pas interrompre l'ordre chronologique, nous
la décrirons à cette place. Celle qui se trouve au n°
43 sera décrite sous le n° 87.
Elle représente les marchands emmenant Joseph en Égypte
(3). Joseph retiré de la citerne, qu'on voit encore à
l'arrière plan, à gauche du spectateur, marche entre
les deux marchands accompagnés d'un chameau chargé de
deux corbeilles d'osier.
MISERICORDE
44. – Ruben revient à la citerne pour en retirer Joseph
en secret, et ne l'y trouvant plus, déchire ses vêtements
(4). Au milieu d'un charmant paysage agrémenté d'arbres,
de maisons et d'un moulin à vent sur pivot, la citerne est
vide, et auprès d'elle, Ruben désespéré,
arrache sa robe d'un geste plein de vérité et d'énergie.
MISERICORDE
45. – Retourné vers ses frères, Ruben, le visage
bouleversé, leur montre la citerne comme pour leur demander
ce qu'est devenu l'enfant (5). Tous les neuf sont présents
: l'un d'eux prenant amicalement Ruben par le bras, lui fait part
sans doute, pour le tranquilliser, du moyen qu'ils ont imaginé
pour expliquer à Jacob la disparition de Joseph; les autres
frères l'appuient du geste.
MISERICORDE
46. - Emmené en Égypte, Joseph est vendu à Putiphar,
eunuque du pharaon et chef de son armée (6). Putiphar est richement
vêtu, mais sa robe, dont le collet est orné d'affiquets,
est relativement courte, comme pour marquer son infériorité
sur le pharaon; il tient d'une main un sceptre ou un bâton de
commandement, et de l'autre, il remet une pièce de monnaie
à l'un des deux marchands qui lui présente Joseph. Celui-ci,
que le marchand a pris par la main, se découvre honnêtement
et humblement devant |
Notes |
(1) Gen., XXXVII, 25.
(2) Gen., XXXVII, 26-28.
(3) Gen., XXXVII, 28.
(4) Gen.. XXXVII, 29-30.
(5) Gen., XXXVII, 30.
(6) Gen., XXXVII, 36 et XXXIX, 1. |
|
son nouveau maître. L'autre marchand suit par
derrière. Putiphar est accompagné d'un suivant qui porte
l'épée au côté et qui est drapé
dans un manteau. Dans le lointain, on aperçoit une maison ou
un château.
MISERICORDE
47. – Le Seigneur était avec Joseph qui réussissait
dans toutes ses actions. Celui-ci gagna promptement la faveur de Putiphar
qui le mit à la tête de toute sa maison. Mais il eut
le malheur d'avoir un trop joli visage (1) et de faire naître
de mauvais désirs dans le cœur de la femme de son maître
(2). Nous voilà donc dans la chambre de cette dame, que l'Écriture
n'a point nommée. Le fond de la pièce est garni par
un banc à haut dossier, dont les panneaux sont à draperies
plissées; à gauche est un grand lit dont le chevet est
décoré d'une petite crête sculptée, sans
dais ni courtines, mais muni de deux oreillers provocateurs; à
l'extérieur, on aperçoit une maison. « Madame
Putiphar » se tient au pied du lit. Elle est mise comme les
élégantes du temps d'Anne de Bretagne : robe traînante,
ouverte en carré à la gorge, larges manches à
parements fourrés, petite coiffe plate et bourse pendue à
la ceinture. Prenant doucement Joseph par la manche, elle lui montre
le lit d'un geste qui semble bien dire, dans leur laconisme tout antique
ces simples mots : « Dormi mecum ». Joseph, toujours jeune
et imberbe, mais pourtant plus âgé que dans les groupes
qui précèdent, chapeau sur la tête, et retroussant
légèrement son manteau, fait un geste scandalisé.
MISERICORDE
48. – Même décor. Joseph a résisté
avec indignation, mais un jour les sollicitations de sa maîtresse
sont devenues plus pressantes. Elle a déjà ôté
ses chaussures qui gisent à côté d'elle, et, assise
au pied du lit, elle l'a pris par le bord de son manteau, et lui a
réitéré son « dormi mecum ». Joseph,
chapeau à la main, s'enfuit, laissant son manteau entre les
mains de la séductrice (3). Cette circonstance permet de voir
le vêtement de dessous de Joseph : c'est une saie à col
droit, serrée à la taille, et ornée d'une espèce
de plastron attaché sur l'épaule gauche par un bouton;
son épée est pendue à un baudrier qui tombe sur
les cuisses de droite à gauche.
MISERICORDE
Pl. LXVIII. 49 – Se sentant compromise, la femme de Putiphar
a appelé les gens de la maison. Ils sont là au nombre
de trois, dont l'un à l'épée au côté.
Leurs gestes témoignent de leur surprise en entendant leur
maîtresse raconter que l'hébreu introduit par son époux
a tenté de la séduire, et que, effrayé par ses
cris il s'est enfui, lui laissant entre les mains son manteau qu'elle
leur montre (4). Un palais forme le fond de la composition.
MISERICORDE
50. – Suivant une habitude assez fréquente, l'artiste
a réuni en un seul sujet deux actions consécutives,
mais connexes. Dans la première moitié de la miséricorde,
c'est encore la chambre de la femme de Putiphar meublée comme
précédemment. Elle tient toujours le fameux manteau
qu'elle présente à son mari. Celui-ci, l'écoute
d'un air peiné et indigné à la fois et fait un
signe de son bâton à deux satellites qui entraînent
Joseph dans une prison crénelée. Ce dernier groupe occupe
la seconde moitié de la miséricorde.
MISERICORDE
51.– Vers le même temps, deux eunuques du roi d'Egypte,
son grand échanson et son grand panetier offensèrent
leur maître, qui les fit |
Notes |
(1) « Pulchra facie et decorus
aspectu »
(2) Gen., XXXIX, 2-7.
(3) Gen., XXXlX, 11, 12.
(4) Gen., XXXIX, 13-15. |
|
mettre dans la maison du princeps militum
où était Joseph (1). Le pharaon est assis dans un riche
fauteuil en X à haut dossier, de style Renaissance. Sa robe,
élégamment drapée et serrée par une ceinture
à pendeloques, est relevée sur les genoux, laissant
voir ses pieds chaussés de houseaux; il est coiffé d'un
turban surmonté d'une couronne et tient un sceptre fleurdelysé.
Il gardera à peu près le même costumé dans
toutes les compositions qui vont suivre. D'un geste, il donne des
ordres .à deux gardes qui entraînent les deux officiers
dans la prison. A côté du pharaon se tient un valet imberbe,
à figure réjouie et coiffé d'un chaperon en bourrelet.
Derrière lui est une jolie crédence couverte de vaisselle.
RAMPE
C 51 (pl. LXXIX, en Z). – On sait ce qui se passa dans la prison.
Joseph mis par le gardien au service des deux eunuques du Roi, leur
donna l'explication de songes qu'ils avaient eus. Il prédit
à l'échanson que, dans trois jours, il serait rétabli
dans sa charge; quant au panetier, il serait, dans le même délai,
attaché à une croix et mis à mort, ce qui arriva
en effet (2). Ces différentes scènes sont distribuées
sur les quatre groupes dont le haut de la rampe est orné.
1er groupe
(3). - Joseph, explique les songes aux deux eunuques. Il est coiffé
d'un chapeau et vêtu d'une longue robe à manches fendues,
analogue à celle qu'il portait dans sa jeunesse. II est encore
jeune et imberbe. Les deux eunuques l'écoutent en manifestant
des sentiments de surprise. La richesse de leurs costumes contraste
avec la simplicité de celui de Joseph. L'un d'eux porte par-dessus
une robe traînante une seconde robe beaucoup plus courte et
taillée en rond par devant et par derrière; serrée
à la taille par une courroie, elle est ornée d'un riche
galon et d'une sorte de frange; les manches sont bouffantes, étroites
aux poignets; il est coiffé d'une espèce de mouchoir
formant turban avec un affiquet sur le front, et tient à la
main son chapeau à longs poils. C'est l'échanson, car
il est à peu près vêtu comme nous le verrons dans
le sujet suivant. Les habits de l'autre sont disposés d'une
façon inverse : c'est la robe de dessus qui est traînante.
Munie d'un col droit peu élevé et de manches bouffantes
froncées -aux épaules et tailladées aux poignets,
elle est fendue des deux côtés avec un affiquet à
l'extrémité de la fente, à hauteur de la cuisse,
laissant voir une saie qui ne descend que jusqu'aux genoux et qui
est bordée d'un très riche galon, tandis que la robe
de dessus ne l'est que d'une simple ganse. Il semble avoir deux chapeaux
superposés ; celui de dessus est à longs poils.
2e groupe.
- L'échanson rétabli dans sa charge. C'est un des plus
jolis et un des plus curieux de tous les groupes qui, dans les stalles,
occupent la même situation. Le pharaon est assis dans un élégant
fauteuil devant une table couverte d'une nappe et servie. L'échanson
(4) est vêtu à peu près comme précédemment,
sauf que la robe de dessous est plus courte et qu'il aune bourse pendue
à la ceinture et un couteau passé par-dessous. Son chapeau
à la main, il sert à boire au pharaon dans un hanap
couvert. Le long de la rampe, autour de la table du roi, divers objets
accessoires d'un repas gisent à terre : piles d'assiettes dont
un chat lèche le contenu, corbeille remplie de pains, flacon
|
Notes |
(1) Gen., XL, 1-3.
(2) Gen., XL, 4-23.
(3) Celui qui correspond au montant le moins élevé.
(4) Sa tête est brisée. |
|
avec sa courroie, pot à anse couvert. Le monarque
est entouré de trois chiens, dont un (1) s'approche de la table
en levant une patte de devant, comme pour solliciter quelque friandise.
Un singe (2) attaché par une ceinture et une chaîne,
porte un morceau à sa bouche, avec sa main, d'un geste bien
naturel. Tout cela est vulgaire, bourgeois, mais c'est charmant.
3e et
4e groupes. – Le supplice du panetier occupe les deux derniers
groupes. A l'extrémité supérieure du plus haut
montant de la rampe, entre deux arbres, se dresse un gibet de bois
brut en forme de tau, auquel l'eunuque est suspendu par une corde.
Il n'a pour tout vêtement qu'une chemise qui flotte au gré
du vent, laissant apercevoir ses jambes et ses pieds nus. On voit
par terre une tête de mort et des ossements humains, restes
de ceux qui ont précédé. C'était la coutume,
au moyen âge, de laisser les corps des suppliciés au
gibet jusqu'à ce qu'ils tombent d'eux-mêmes. Le bourreau,
ou, pour mieux dire l'exécuteur de la haute justice, est accroupi
par derrière, mettant dans une espèce de sac ou de vêtement
à manches un objet dont la forme est difficile à distinguer,
et que MM. Jourdain et Duval ont pris pour la bourse du condamné.
Il est vêtu de chausses garnies d'un rang de crevés à
mi-cuisses et serrées à la taille par une coulisse,
et d'un pourpoint très court et décolleté, laissant
apercevoir la chemise entre les chausses et son bord inférieur;
sur sa tête est un chapeau tailladé, par-dessus lequel
la gourmette est relevée. Il a le visage rasé, mais
paraît âgé. Une corde passée en bandoulière
est l'insigne de sa profession (3).
Trois
personnages composent le troisième groupe, et représentent
sans doute le public ou les gardes, qui assistent à l'exécution.
Celui-ci est vêtu d'une longue robe fendue par devant, à
grand col rabattu garni de petites boules, et serrée à
la taille par un baudrier de cuir avec boucle et appendices découpés
en forme d'écussons (4). Il tient un long bâton noueux.
Celui-là, chaussé de houseaux à crevés,
porte une saie serrée à la taille, fendue sur les côtés
et laissant voir un vêtement de dessous beaucoup plus court.
Le troisième, qui est à cheval, est vêtu à
peu près de même. Il a une plume au chapeau et tient
un bâton.
RAMPE
C 52 (pl. LXXIX, en Y). – « Deux ans plus tard, le pharaon
eut un songe. Il lui semblait être sur le bord du fleuve, d'où
sortaient sept vaches belles et grasses, qui pâturaient dans
les marécages; puis il en sortit sept autres, laides et d'une
maigreur extrême, qui allèrent paître dans les
herbages sur la même rive du fleuve et qui dévorèrent
les premières. Le pharaon s'étant alors éveillé,
se rendormit et eut un autre songe. Sept épis pleins et beaux
sortaient d'une même tige, qui furent dévorés
par autant d'épis maigres et desséchés »
(5).
Contrairement
au parti généralement adopté, c'est le songe
des vaches, le premier en date, qui occupe les trois groupes les plus
élevés de la rampe, tandis que celui des épis
est tout entier sur le plus bas montant. La raison en |
Notes |
(1) La tète brisée.
(2) La tète en partie brisée.
(3) Caudron a donné un costume à peu près semblable
au bourreau qui décolle saint Firmin dans la clôture
du chœur, et qu'il a refait de toutes pièces. Celui qui,
dans l'autre partie de la clôture du chœur, tranche la
tète à saint Jean-Baptiste, et celui qui, dans les stalles,
préside au Crucifiement de Jésus (panneau de la rampe
J 96) sont vêtus d'une façon beaucoup plus riche.
(4) 1509 : « Deux baudrez à boucle et morgan, l'un sur
ung tissu de velours noir, et l'autre batu à l'or ».
Arch. de la ville d'Am., 4313 z 1, fol. 28 v°.
(5) Gen., XLI, 1-7. |
|
est que le premier devant occuper trois groupes, il
était plus naturel de lui faire suivre une marche ascendante.
L'artiste n'a pas hésité à sacrifier la vérité
à la beauté du coup d’œil.
1er groupe
(1). – Le pharaon est assis, accoudé et endormi dans
une chaire dont le dossier est orné de draperies plissées.
Un dais polygonal, d'une étoffe brodée, orné
de franges et de courtines troussées, est placé au-dessus
de sa tête et accroché à un édicule triangulaire
couvert en tuiles ou en ardoises et de style Renaissance. Dans sa
décoration figurent des coquilles, des médailles, etc.
De cet édicule sort un personnage imberbe, coiffé d'un
casque plat, en robe courte, bourse à la ceinture, sans doute
un garde. Remarquons l'opposition très bien trouvée
entre le pharaon dans sa gloire et le supplice du panetier qui lui
fait pendant sur la rampe voisine.
2e groupe.
– Sept vaches grasses pressées les unes contre les autres
semblent se diriger vers le pharaon endormi.
3e groupe.
– Sept vaches maigres entassées de même, dans la
même direction. Il faut admirer l'habileté avec laquelle
le tailleur d'images a su disposer ces deux groupes pour conserver
le galbe général de la rampe, sans nuire au naturel
et au mouvement.
4e groupe. – Le pharaon est encore endormi assis dans une chaire
à haut dossier surmonté d'un fronton dans le goût
de la Renaissance, mais sans dais. Sept épis pleins et sept
épis vides croissent autour de la chaire (2).
MISÉRICORDE
- Pl. LXVIII. 52. – Plein de terreur, le pharaon a fait venir
tous les devins de l'Égypte (3). Il est assis dans un fauteuil
en X, à haut dossier de style Renaissance, et parle à
un devin qui est debout près de lui. Ce personnage à
figure grave et ornée d'une forte barbe, fait un geste qui
manifeste son embarras. Longue robe serrée à la taille
et retombant sur la ceinture, avec un affiquet sur la poitrine, capuchon
couvrant la tête par-dessus le chapeau, bourse pendue à
la ceinture, tel est son costume. Derrière lui, deux autres
devins sans barbes, font également des signes d'inintelligence.
Deux autres personnages se tiennent du côté du pharaon,
dont ils figurent sans doute la suite.
MISÉRICORDE
53. – Les devins n'ayant rien pu expliquer, l'échanson
vint raconter au roi ce qui s'était passé dans la prison
(4). Le pharaon est toujours assis dans le même fauteuil, en
dehors de son palais qui forme le fond de la miséricorde; un
personnage imberbe coiffé d'un chapeau se tient derrière
lui. L'échanson, reconnaissable à son costume, est debout
et semble adresser au roi des paroles que celui-ci écoute attentivement
et avec intérêt. Deux autres personnages, l'un barbu
et paraissant âgé, l'autre, le visage rasé et
coiffé d'un casque, occupent la partie de la miséricorde
à la droite du spectateur.
MISÉRICORDE
54. – « Aussitôt Joseph fut tiré de la prison,
par ordre du roi » (5). Debout, le sceptre à la main,
et accompagné de deux personnages de sa suite, le pharaon s'avance
vers la prison, dont un geôlier ouvre la porte,
|
Notes |
(1) Le plus élevé.
(2) Plusieurs sont brisés.
(3) Gen., XLI, 8.
(4) Gen., XLI, 9-13
(5) Gen., XLI, 14. |
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tandis qu'un autre, vêtu d'une robe courte, tailladée
sur la poitrine, et tenant un trousseau de clefs, fait sortir Joseph.
Les cheveux et la barbe de celui-ci ont fortement poussé (1).
MISÉRICORDE
55. – La miséricorde qui se trouve à cette place
devait évidemment occuper le n°110, qui se trouve de l'autre
côté : elle est la suite du fait représenté
sur le n°109. Nous la décrirons en son temps.
Amené
devant le pharaon, Joseph a expliqué les songes. Les sept vaches
grasses et les sept épis pleins représentent sept années
d'abondance, et les sept vaches maigres et les sept épis vides,
sept années de disette qui suivront immédiatement. Le
roi fera donc bien d'établir un homme sage et habile pour amasser
des provisions pendant les années d'abondance. Émerveillé,
le pharaon dit à ses ministres : « Où pourrions-nous
trouver un homme plus rempli de Dieu? » Il établit donc
Joseph sur toute la terre d'Égypte, le premier après
lui-même (2).
Il est
vraisemblable que les miséricordes des deux stalles basses
faisant suite à celles que nous venons de décrire et
qui ont été supprimées au XVIII° siècle,
devaient se rapporter à ces faits. |
Notes |
(1) La Bible (loc. cit.) dit que Joseph
fut tondu avant d'être présenté au pharaon
(2) Gen., XLI, 15-41. |
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